C’est un véritable revirement de situation que vient d’initier la Cour de cassation dans la régulation des marchés financiers. Avec deux arrêts publiés le 28 novembre 2025, la Chambre commerciale, financière et économique tranche, semble-t-il définitivement, la question épineuse de l’appréciation du contrôle de fait au sens de l’article L. 233-3, I, 3° du Code de commerce. Une décision d’une importance particulière, qui vient balayer une certaine forme d’approche téléologique des juges du fond et réaffirmer le principe de la sécurité juridique.
La fin du « faisceau d’indices » : retour à la lettre des textes
L’affaire, emblématique, trouve sa source dans le projet de scission de Vivendi SE de 2024. Un fonds minoritaire, CIAM, avait alors soutenu que la société Bolloré exerçait un contrôle de fait sur Vivendi, nécessitant le déclenchement d'une OPRO en application de l’article 236-6 du Règlement général de l’AMF.
La Cour d’appel de Paris avait initialement donné raison au minoritaire, caractérisant le contrôle de fait sur la base d'un faisceau d’indices englobant la qualité de principal actionnaire, sa position stratégique, son autorité particulière et la dispersion des titres dans le public. En d’autres termes, elle s’était appuyée sur une majorité relative de fait, au-delà des seuls droits de vote.
C’est là que la Cour de cassation intervient. Elle casse l’arrêt d’appel. Sa position est radicale et d’une clarté limpide : l’article L. 233-3, I, 3° ne reconnaît de contrôle de fait qu’au regard des votes exprimés en assemblée générale.
Le contrôle de fait ne peut s’apprécier que par « les seuls droits de vote dont elle dispose, lorsque leur nombre lui permet d’imposer sa volonté lors des assemblées générales ».
C’est un rejet clair de la méthode du faisceau d’indices et de toute autre considération factuelle extérieure. La Cour revient à une interprétation stricte et spécifique du texte. Le contrôle de fait est bien un contrôle exclusif exercé par une seule personne.
La portée des droits de vote : contrôle, direct ou non, de la majorité relative
La deuxième pierre angulaire posée par la Cour de cassation concerne la portée de ces droits de vote.
S’agissant d’une notion jamais définie précisément par la jurisprudence, il fallait clarifier si la détention était uniquement directe ou si elle pouvait être indirecte.
La Cour, se référant aux travaux parlementaires de la loi de 1985, retient que la détention peut être directe ou indirecte. La société qui « dispose » des droits de vote, doit s’entendre de ceux qu’elle détient « aussi bien directement qu’indirectement ou par d’autres sociétés qu’elle contrôle ».
le contrôle de fait ne se cumule pas avec une action de concert, qui renverrait à un contrôle conjoint. Ajouter les titres des cousins, oncles et holdings périphériques — comme tentait de le faire la cour d’appel — revient à dénaturer la notion même de contrôle de fait.
Surtout, la Cour entérine la possibilité d’un contrôle de fait non seulement par la détention de plus de la moitié des droits de vote exercés (majorité absolue), mais aussi, et c’est crucial, par la détermination du sens du vote dans les assemblées générales même si l'on ne détient pas la moitié des voix. C’est la fameuse majorité relative qui ouvre désormais la voie. Ce contrôle doit, de plus, s’exercer « pendant une durée significative » , un critère qui rappelle le « contrôle d’habitude » déjà évoqué dans l’affaire Havas-CGE en 1998.
Quel suites pour l’AMF et les actionnaires minoritaires ?
Le rôle de la majorité relative va désormais devoir être précisé par la Cour d’appel de renvoi. L’AMF, qui avait déjà été enjointe de tirer les conséquences de l’arrêt d’appel, avait décidé en juillet 2025 que la société actionnaire (Bolloré) devait déposer un projet d’OPR. Cette décision était conditionnée à l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation.
La régulation des marchés est aujourd’hui face à un paradoxe : la volonté de préserver la sécurité juridique par une interprétation stricte de la loi pourrait, de fait, rendre plus difficile l'intervention de l’AMF pour protéger les actionnaires minoritaires des conséquences d'opérations stratégiques (scission, fusion, réorientation d'activité, etc.).
En écartant tous les critères de fait autres que les seuls droits de vote, la Cour de cassation oblige l'Autorité à statuer une troisième fois, mais seulement après la nouvelle décision de la Cour d'appel. En effet, l'AMF ne pourra statuer à nouveau sur l'obligation de réaliser une offre publique de retrait tant que la Cour d'appel n'aura pas rendu sa décision sur l'existence ou non d'un contrôle de fait (cf. L'Autorité des marches financiers prend acte de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans le dossier Vivendi SE). C'est donc la prochaine décision de la Cour d'appel qui est désormais attendue pour dénouer le sort de cette opération…
